J-KincaidJohn Kincaid
L’auteur est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes du fédéralisme aux États-Unis. Il est professeur au Lafayette College, en Pennsylvanie.

Ce texte est tiré de la conférence qu’il donnait le 27 mai 2010, à Montréal, à l’invitation de L’Idée fédérale. Une présentation Powerpoint (en anglais) est aussi disponible.

Curieusement, le fédéralisme décentralisé du Canada fait plus de mécontents que le fédéralisme centralisé en place aux États-Unis.

Suivant la constitution, le fédéralisme américain est beaucoup plus décentralisé que le fédéralisme canadien. Toutefois, le système américain s’est beaucoup centralisé au cours de la deuxième partie du vingtième siècle. Et pourtant, les Américains ont un très bon niveau de confiance envers leurs différents gouvernements et considèrent que leur État de résidence est traité avec respect au sein de la fédération. Le système fédéral canadien est aujourd’hui plus décentralisé; cependant, les Canadiens font moins confiance à leurs gouvernements et ont souvent l’impression que leur province n’est pas traitée avec respect.

Ces différences n’ont pas tant à voir avec la centralisation et la décentralisation qu’avec des facteurs culturels et politiques qui façonnent la vision que les gens ont du fédéralisme. Au Canada, le fédéralisme est contesté parce que de nombreux francophones et anglophones ont une vision différente de la nature et des buts de la fédération. Il n’existe pas de division culturelle ou linguistique de ce type aux États-Unis. C’est pourquoi les Canadiens se querellent davantage au sujet du fédéralisme que les Américains.

Au Canada, le Québec est la province qui fait le plus obstacle au pouvoir fédéral. Il arrive souvent que d’autres provinces imitent le Québec dans le but d’augmenter leur autonomie et d’empêcher le système fédéral de devenir trop asymétrique. Aux États-Unis, c’est le sud du pays qui a, de 1789 à environ 1965, bloqué le pouvoir du gouvernement fédéral en défendant les droits des États. Les États-Unis ont été une fédération bicommunautaire de fait pendant à peu près 175 ans. Cependant, depuis 1965, aucune région américaine ni aucun État n’a eu d’incitatif culturel ou politique assez convaincant pour lancer un mouvement de résistance à la centralisation.

S.t. Washington contre l’esclavage

La satisfaction des Américains envers leur système centralisé est liée en partie non négligeable au fait que le Sud fonctionnait selon un communautarisme intolérant et même pré-moderne. On considérait que sa défense de la décentralisation était fondée sur des motifs honteux . Le Québec, quant à lui, représente un communalisme moderne et libéral; la province est un défenseur honorable d’un fédéralisme décentralisé.

Aux États-Unis, la centralisation a été en partie mise de l’avant afin de protéger les droits individuels. D’un point de vue historique, le gouvernement fédéral n’avait que peu d’influence sur la vie des citoyens. Les gouvernements d’État et locaux s’occupaient de la majeure partie des services qui touchaient le quotidien. C’est pour cette raison que ces gouvernements ont commis plus que leur part de violations de droits, de manière particulièrement atroce dans le Sud avec l’esclavage et la ségrégation raciale. Dans les années 1960, on a sollicité l’aide du gouvernement fédéral pour libérer les gens de la tyrannie qui régnait à certains endroits.

Au Canada, plus particulièrement au Québec, il y a une certaine réticence à interpréter la Charte des droits et libertés à la manière américaine. D’un point de vue culturel, ce ne serait pas compatible. C’est pourquoi la Charte canadienne comprend la clause dérogatoire, qui serait inacceptable aux États-Unis. Si elle existe au Canada, c’est en partie parce qu’aucune région ne possède un passé comprenant des violations aussi flagrantes des droits que le sud des États-Unis. Les principaux défenseurs de la souveraineté des provinces peuvent alléguer que le gouvernement fédéral et le reste du Canada ont longtemps fait preuve de discrimination à leur égard. Ainsi, la protection des droits et la décentralisation ne sont pas, comme aux États-Unis, deux principes opposés.

Aux États-Unis, la centralisation a été accompagnée d’une nationalisation et d’une intégration du système des partis politiques au niveau fédéral, des États et local. Ni les démocrates ni les républicains ne défendent encore le principe d’un fédéralisme décentralisé, et les électeurs ne s’attendent pas à ce qu’ils le fassent. Il arrive à chaque parti de brandir le drapeau de la défense des droits des États, mais ce n’est que par opportunisme politique. Le système des partis au Canada est régionalisé et bidimensionnel – fédéral et provincial – et il existe au moins un parti fédéral et un provincial qui ont des visées sécessionnistes.

Pour ces raisons et d’autres encore, il y existe un certain mécontentement et une certaine méfiance envers le fédéralisme dans le Canada décentralisé mais pas à l’endroit du fédéralisme centralisé aux États-Unis.

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