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Forum, 8 octobre 2009, p. A29

Une expansion phénoménale

La démocratisation a contribué à la naissance de fédérations

La conférence de Mont-Tremblant sur le fédéralisme (octobre 1999) est surtout connue pour le discours remarquable de Bill Clinton. Plusieurs ont été aussi étonnés que tant d’intérêt soit porté au fédéralisme, n’étant pas conscients que 40% des peuples du monde résident dans plus de 25 fédérations.

Il n’existait que quatre fédérations fonctionnelles à la fin de la Seconde Guerre mondiale: les États-Unis, la Suisse, le Canada et l’Australie. Au nombre des pays fédéraux ou quasi fédéraux s’ajoutent aujourd’hui, en Europe, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la Russie et même l’Italie; le Mexique, le Brésil et l’Argentine en Amérique latine; l’Inde, la Malaisie et le Pakistan en Asie; et le Nigeria, l’Éthiopie et l’Afrique du Sud en Afrique. Des États sortant d’un conflit comme l’Irak, la Bosnie-Herzégovine, l’Éthiopie et le Soudan ont également adopté des constitutions fédérales, et le Népal est déterminé à le faire. Certains préconisent en outre le fédéralisme pour Chypre, le Sri Lanka, la Bolivie, l’Indonésie, les Philippines et plusieurs autres pays.

La démocratisation s’est révélée le plus important facteur à l’origine de la formation de nouveaux régimes fédéraux. Dans l’Espagne d’après Franco, les Catalans et les Basques se sont servis de la démocratie pour obtenir plus d’autonomie, comme l’ont fait d’autres régions. La démocratie a aussi transformé le Mexique, le Brésil et l’Argentine vers un fédéralisme beaucoup plus authentique.

La démocratisation a jeté la Russie dans un fédéralisme plutôt chaotique sous Eltsine, mais depuis, son caractère fédéral est demeuré notable, même sous Poutine. L’Afrique du Sud a adopté une architecture fédérale afin de rassurer certaines minorités lorsqu’elle s’est démocratisée après l’apartheid, tout comme l’Éthiopie après le renversement du dictateur militaire Mengistu Haile Mariam. La Belgique et l’Italie ont opté pour des arrangements fédéraux ou quasi fédéraux en réponse à des pressions démocratiques pour la décentralisation.

Les arrangements fédéraux au sein des pays sortant d’un conflit, où de profonds clivages rendent toute forme de démocratie fragile, représentent un défi beaucoup plus substantiel. Divers régimes fédéraux ont aussi fait long feu, notamment des régimes façonnés par des pouvoirs coloniaux pliant bagage ou qui ont vu le jour après la chute du communisme.

Le fédéralisme a donc connu une expansion phénoménale au cours des 60 dernières années. Il n’a pas toujours été couronné de succès, mais de toute évidence a représenté une importante option convenant à un nombre croissant de pays. Si la démocratie poursuit son expansion au cours de ce siècle, le fédéralisme fera sans doute de même. Si, par exemple, la Chine, l’Iran ou le Myanmar se démocratisent, la nature de leurs sociétés les amènera peut-être à opter pour des arrangements fédéraux. De la même façon, un certain nombre de petits pays multiethniques, particulièrement en Afrique, pourraient adopter le fédéralisme comme moyen de gérer leur diversité.

Évidemment, lorsque la politique identitaire déchire une société, comme en ex-Yougoslavie par exemple, le non-respect de la démocratie peut aussi miner le fédéralisme. Le fédéralisme requiert des dirigeants favorisant le dialogue, la tolérance et la conciliation.

L’une des plus grandes questions concernant l’avenir du fédéralisme a trait à l’Union européenne, où des points de vue fortement divergents opposent, d’une part, ceux qui anticipent une évolution logique vers le fédéralisme et, d’autre part, ceux qui estiment que la diversité, les intérêts et les acquis locaux au sein de l’UE feront toujours obstacle à l’élection directe d’un gouvernement européen. Je tends à être en accord avec le premier point de vue. Au fil du temps, le besoin d’une entité centrale ayant plus de poids sur le plan financier, des politiques de défense et étrangère communes et de régler le « déficit démocratique », tout comme la croissance d’une identité commune européenne, pousseront probablement l’Europe dans une direction plus fédérale.

Donc, les expériences fédérales se révéleront vraisemblablement encore plus pertinentes qu’auparavant au cours de ce siècle. Un intérêt accru sera ainsi porté au dialogue et au partage de connaissances sur le fédéralisme à l’échelle internationale. Le Canada, fort de son long et parfois difficile parcours, représente un chef de file de ce dialogue.

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